mercredi 5 août 2009

Agressions en mer







Agressions en mer


Marine grecque



1999, l’année du transfert de l’ALOA en Turquie. Guy « le caravanier » navigue avec moi depuis Palerme. Nous quittons Athènes où nous avons récupéré, la veille, à l’aéroport, sa compagne Yasmina. Elle n’est pas encore amarinée, donc, dans la cabine avant, avec un mal de mer indescriptible : elle se trouve, fort heureusement maintenant dans un état comateux.

Notre prochaine destination est Tinos, que d’autres plaisanciers, rencontrés à Delphes, nous ont décrit comme une des îles grecques les plus typiques. C’est le Lourdes orthodoxe, avec sa basilique, ses pèlerinages, ses nombreuses chapelles et pigeonniers. Il nous tarde de la découvrir.

La route est simple, mer Egée, vers l’est. Depuis le Cap Sounion où l’on peut admirer le temple de Poséidon, nous passerons entre les îles de Kéa et Kythnos, laisserons Gyaros à bâbord, Syros à tribord et arriverons en plein dans le port de Tinos. 80 Milles nautiques à la louche. Vent de coté, secteur nord 3 à 4, gentille houle à la crête à peine déferlante, doux roulis de rêve !








Guy est à moitié équipier, à moitié infirmier : une main pour le bateau, une main pour la femme.

Nous arrivons au sud de l’île de Gyaros. Nous distinguons de plus en plus et de mieux en mieux une espèce de grande armada de bateaux de guerre gris marine. On va droit sur eux, on va se régaler. Plus on va droit sur eux, plus on a l’impression que ce sont eux qui viennent droit sur nous. Ils se rapprochent, ils arrivent, ils nous arrivent dessus. Ils sont 9 !




Photo bâtiment français à défaut








Ils nous font : la file indienne, le triangle, le carré, la tortue, nous passent devant, derrière, de tous les côtés. Ils sont partout ! C’est l’horreur !

Lors d’un passage, un capitaine, juché sur sa passerelle de commandement, tout de blanc vêtu, un mégaphone à la main, nous assène des coups de gueule dans une drôle de langue, du grec peut-être, compte tenu du drapeau bleu et blanc qu’il arbore sur son bateau à double rangée de dents. Car ils sont armés les bougres ! Canons, mitrailleuses, lance-ceci, lance-cela, mer-mer, mer-air, anti-bateaux, anti-avions, anti-Aloa, radars en tout genre, bref, de vrais navires de guerre.

Je descends à la VHF et leur demande dans un anglais aussi parfait que celui d’un débutant auvergnat, ce qu’ils veulent, et pourquoi ils sont si méchants. Il me répond dans la même langue que tout à l’heure. Ce langage de sourds ne dure pas longtemps, car maintenant ce sont leurs sirènes qui nous assourdissent. Quand je pense que Yasmina ne se rend compte de rien, c’est dire l’état dans lequel elle se trouve et semble se conforter.

Je remonte sur le pont, l’homme en blanc nous fait des signes autoritaires, du style « foutez-moi le camp ! »

Guy n’en peut plus ! « C’est un incident diplomatique, il faut porter plainte à notre ambassade, nous ne sommes pas en guerre … »

Eh si, justement !

La France prend part actuellement, dans le cadre de l’ONU ou de l’OTAN, (ou les deux réunis), à la guerre en Croatie. D’ailleurs nous n’étions pas très rassurés en traversant le détroit d’Otrante entre l’Italie, la Grèce et l’Albanie. Avant de quitter Bordeaux, mon bon Guy était allé chez un marchand d’armes et avait acheté un pistolet à grenaille et une bombe antiviol, au cas où.

Nous sommes en plein « au cas où »! Alors, debout dans le cockpit dans un langage solennel, je clame à Guy : « va chercher le pistolet et la bombe, nous allons livrer une bataille héroïque, tels les cavaliers du Cadre noir de Saumur contre une division de blindés allemands.

Ce fut un carnage (pas pour les blindés, pour les cavaliers). Les ordres, les gestes, les intonations deviennent de plus en plus pressants et nous sommes déjà cap au sud pour obéir aux mouvements significatifs de l’homme en blanc. Je ne comprends pas ce qui nous arrive, descends à la table à carte, fais rapidement le point. Nous nous trouvons sur une ligne rouge pointillée qui entoure l’île de Gayros, à l’intérieur de laquelle est écrit en rouge « zone interdite ». A l’épaisseur du trait près, nous ne sommes pas en infraction. Je consulte les instructions nautiques qui m’indiquent que cette île a servi autrefois de bagne, puis de prison pour les communistes, du temps où les généraux étaient au pouvoir en Grèce. Aujourd’hui elle est terrain militaire. Et voilà, nous nous éloignons. Ils ont l’air content. Ils reprennent une formation ordonnée, se mettent en ligne, se mettent de côté et se mettent à tirer comme des malades des salves de bâbord, des coups de canon, dans un bruit assourdissant et à grands renforts de fumée. Pauvre petite île !

On devait les gêner un peu quand même ! Mais on n’était pas dans la zone interdite, non, on n’y était pas, à moins qu’ils n’aient déplacé la ligne rouge sans m’avertir.

Quant à Yasmina, je vous rassure, elle est toujours vivante.


Gui, "le caravanier",quand il n'est pas en guerre


Nous avons passé un jour dans l’île de Tinos que nous avons explorée à bord d’un 4 X 4 de location. Je vous recommande la visite, surtout si vous arrivez dans la basilique orthodoxe (à pieds) quand la chorale est en train de répéter (debout) pendant que sonnent les cloches (au dessus).



Samos



Il est minuit. Je quitte Kusadasi en Turquie. Je vais à Bodrum, il me faudra 18h environ. Nuit noire, mer d’huile, pas un souffle de vent, je navigue au moteur. Il fait chaud, tous les capots sont ouverts : cabine avant, toilettes, roof. Le pilote automatique me dirige avec une précision diabolique vers le phare de Gatos sur l’île grecque de Samos. J’ai fait la sieste dans l’après midi en prévision de ce périple en solitaire. Je dormirai en « pointillés » après avoir passé le fameux détroit entre l’île de Samos et le continent turc.



Ce détroit de Samos, je ne l’aime pas. Quand vous l’approchez par le sud, vous êtes accueilli par des éoliennes. Et elles tournent les vaches, elles tournent vite. Si vous ajoutez les effets de fun et venturi vous pouvez vous préparer à danser. C’est d’ailleurs dans ce détroit que j’ai eu le plus de problèmes et d’avaries. Je vous raconterai.

Cette nuit, pétole totale. Je suis assis dans le cockpit à tribord, le doux et rassurant ronronnement du Volvo 2002 me propulse à 6,5 nœuds. Je donne libre cours à mes rêves, je suis bien, tout est calme.





Tout d’un coup, surgit derrière moi, juste derrière, une énorme masse que je n’arrive pas à définir car je suis ébloui par un puissant projecteur. Elle passe à grande vitesse à deux mètres derrière l’Aloa. J’ai d’abord l’impression que c’est un avion qui se crashe ou le retour d’une capsule APPOLO. Elle me contourne, il s’agit donc d’un bateau. Il tourne autour de moi soulevant des vagues énormes, Aloa est transformé en balle de ping pong. L’eau rentre dans la cabine avant, dans les toilettes, dans le carré. J’entends des cris, des you you you, on dirait une tribu de sioux autour d’un totem auquel un visage pâle est saucissonné.

Je saisis le projecteur à iode que j’ai toujours sous la main quand je navigue de nuit. J’éclaire mon pavillon national. Il est bleu blanc rouge, il est français, il est ami, il est touriste.

Par contre, le pavillon de courtoisie que j’arbore est rouge avec un croissant et une étoile blancs, il est turc !

Mes sioux continuent à tourner et à hurler.

Je dirige mon projecteur sur eux. Je découvre une vedette d’une quinzaine de mètres, toute blanche, sa coque marquée en toutes lettres « HELLENIC COAST GUARD ». (ELLINIKO LIMENIKO SOMA, ce qui veut dire en grec, GREEK HARBOUR CORPS), autrement dit GARDES COTES GRECS.

Sur le pont, 6 ou 7 marins tout de blanc vêtus : les Sioux. Ils éteignent tous leurs feux et disparaissent dans le noir. Si je suis cardiaque, je meurs !

Plus tard, j’ai appris par des amis, pêcheurs turcs, que le capitaine de ces gardes-côtes de Samos était bien connu dans le secteur et réputé pour ce genre de plaisanteries.

En définitive, ils ont dû vérifier, s’il y avait du monde à bord, pourquoi pas des clandestins ?

Pour une fois que le détroit était calme !



Turquie



Nous sommes en Turquie. Jean-Pierre « D’Artagnan », Michel, un ami commun et moi, quittons Kusadasi à minuit. Nous allons à Foçà (prononcez Fotcha) en passant par le détroit de Cesme (prononcez Tchechmé) entre la côte turque et l’île grecque de Chios (prononcez Kios). Nous arriverons normalement vers les 18 heures.

Il fait bon, il fait beau, personne à l’horizon, tout est calme, une veille inutile … Pas beaucoup de vent, donc voile et moteur. Il faut faire 5 nœuds sur le fond pour avaler les quelques 90 milles nautiques.

Je prends le 1er quart, mes deux coéquipiers sont dans leur couchette respective. Il est deux heures du matin, nous venons de passer le phare de Doganbey.








Tout d’un coup, sirène et projecteur à 100 mètres derrière nous. Une vedette rapide nous rattrape, vient à notre hauteur. Elle est blanche avec des stries obliques orange et bleues, d’une douzaine de mètres avec une mitrailleuse de gros calibre sur le pont. Ce sont les Gardes-côtes turcs : « Sahil Güvenlik » tout de blanc vêtus.

Je dis à mes amis de ne pas se montrer. Trop tard, deux têtes endormies sortent déjà des capots de l’Aloa.

Un des cinq marins de la vedette, maigre et balafré m’interpelle : « Captain ! Papers ». Je descends dans la cabine, ouvre la table à carte et, dans la pénombre, saisis une enveloppe en plastique transparent, dans laquelle je conserve mes papiers. La vedette est déjà à couple, à grands renforts de pare battes. Je leur donne les papiers. Ils me les rendront, après contrôle, comme c’est l’usage. Ils s’éloignent tous feux éteints. Nous reprenons notre route. Ils reviennent au bout d’un moment et nous crient quelque chose comme « tchéchik, tchéchik, tchéchik » en nous faisant signe d’aller en direction du nord, alors que notre cap est ouest-nord-ouest. J’essaie de parlementer à distance, leur signale que nous allons à Foça, mais personne d’entre eux ne parle ni l’anglais ni le français. Ils recommencent leur, « tchéchik ».

Je prends la direction qu’ils m’indiquent, mais où m’amènent-ils ? J’examine la carte. Aucun port dans les environs : le plus proche, celui de Sigacik, à 10 milles au nord. C’est pas possible ! Ils ne vont pas nous amener aussi loin ! 2 heures de route !

Je m’aperçois que je me suis trompé de papiers. Je leur ai donné le contrat passé avec mon port d’attache Sétur Marina de Kusadasi, au lieu de l’acte de francisation, et surtout le fameux « Transit log » obligatoire pour naviguer en Turquie. Je remonte dans le cockpit, ils ont disparu dans la nuit. Je reprends le cap de Foça ! Jean-Pierre me signale une épaisse fumée noire à quelques centaines de mètres derrière nous. Tous feux éteints, un bateau beaucoup plus gros, nous rattrape. A son tour, il nous éblouit de son puissant projecteur. La première vedette est à ses cotés. Visiblement ils discutent entre eux. Pas rassurant du tout ! La vedette vient se placer devant nous et le gros bateau derrière. Re « tchéchik » : j’obéis. Nous voilà, bien encadrés, faits comme des rats, faisant route nord. Drôle de convoi.

Mes deux copains et moi nous nous posons toutes sortes de questions. Je fais mon examen de conscience. Suis-je en règle, qu’ai-je fait ? Deux heures après, nous arrivons au port de Sigacik. Le gros bateau, tous feux éteints, disparaît. La vedette nous guide dans le port que nous découvrons pour la première fois. Elle regagne l’emplacement qui lui est réservé devant la petite caserne « Sahil Güvenlik ». Ils nous ordonnent de nous mettre devant eux. Jean Pierre saute sur le quai et amarre l’Aloa.


Jean-Pierre et Michel et Aloa un jour plus clément


Deux gardes-côtes armés de mitraillettes viennent se positionner sur le quai, l’un à la proue, l’autre à la poupe de l’Aloa. Ils ordonnent à J.Pierre de regagner le bord. Il est 4 H 20. Nous sommes assis en rang d’oignons dans le cockpit. Le jour se lève. Du haut du minaret tout proche, le muezzin appelle à la prière. On a du mal à se retenir de rire : c’est les nerfs ! Je demande à mes amis de faire profil bas. Le temps est long, interminable. Arrive alors une estafette bleu marine marquée « GENDARMA ». Huit gendarmes en tenue de combat (treillis kaki) en jaillissent, dans un concert de cliquetis de menottes accrochées à leur ceinturon. Pas rassurant.

Bref conciliabule entre les deux officiers, gendarme et garde-côtes. Les gendarmes nous demandent nos papiers. Jean-Pierre et moi donnons nos passeports, Michel n’en a pas, seulement une carte d’identité (en Turquie, le passeport est obligatoire en mer).

Le balafré nous donne l’ordre de le suivre au poste, j’en profite pour lui donner les bons documents du bateau qu’il examine et transmet dans le bureau d’à côté, à son supérieur, qui n’arrête pas de téléphoner.

Est descendu en même temps du fourgon, un jeune homme en survêtement, visiblement mal réveillé. C’est un interprète. Il m’informe que les gendarmes vont perquisitionner le bateau et que je ne peux pas m’y opposer. Je dis à Jean-Pierre et à Michel de bien surveiller que personne ne dépose quoi que ce soit dans le bateau à notre insu. On ne sait jamais, on a trop vu de films, peut-être … ! (Midnight-Express par exemple).

L’officier de gendarmerie monte sur Aloa.

Inquiet, il jette un regard prudent à l’intérieur du bateau, en se servant de sa lampe torche. Il descend, je le suis. Il inspecte la cabine avant, la couchette arrière, ouvre l’armoire à cirés … puis remonte. En quittant le bateau, il se prend un pied dans la filière, tombe à l’extérieur, entre le quai et la coque. Il est pendu par la cuisse. Il hurle de douleur. Ses gendarmes le regardent ébahis, personne ne bouge. Il hurle, continue à hurler. C’est J. Pierre et Michel qui lui viennent en aide, l’agrippent, le halent et le remontent sur le quai. Il s’éloigne en boitant et vociférant. Pas rassurant tout çà !

Nous sommes convoqués une nouvelle fois au bureau, nous avons la peur au ventre.

L’interprète écoute ce que lui dit l’officier des garde-côtes. Son visage semble s’éclairer. Il nous traduit : « vous n’avez rien à vous reprocher, vous n’avez rien à craindre, vous avez été contrôlés. Les gardes vont vous remettre le procès-verbal de leur intervention. Il s’agit d’un contrôle contre l’émigration clandestine …» Les gendarmes s’en vont en laissant l’interprète.

Il est 6 H du matin ! On nous sert le thé. Rassuré, je pars dans un discours fleuve vantant les mérites des garde-côtes, à rendre jaloux un vieux renard d’homme politique en campagne. C’est vrai qu’on est bien content de les avoir quand on est en difficulté. Le traducteur traduit au fur et à mesure, le visage des garde-côtes s’illumine petit à petit. L’atmosphère n’a plus rien à voir, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil !

Je signe le procès verbal, nous les saluons, nous partons en direction de notre bateau. Le balafré, une nouvelle fois, nous demande nos papiers, les réexamine, consulte une liste de noms et nous les rend à regret. En voilà un qui ne digère pas le chou blanc !


Jean- Pierre, ma pomme et Michel au détroit de Cesme.
Pas d'alcool à bord en mer! Mais alors : à terre!!!!

Nous avons bien sûr raconté cette histoire à Aldo, notre grand ami turc. Il nous a donné toutes les explications après avoir lu les journaux qui relataient les faits :

Cette nuit là, la Turquie avait organisé une vaste opération « coup de filet » dans le cadre de la lutte contre l’émigration clandestine (Orient vers l’Europe). La Turquie devait faire preuve de bonne volonté, auprès de la Grande-Bretagne en particulier, qui, sous cette condition, était d’accord pour se porter caution d’un emprunt auprès du FMI (Front Monétaire International).

Notre pays d’accueil avait mobilisé d’importants moyens pour cette opération d’envergure et très médiatique.

Sur l’arrière de l’Aloa, j’ai fait inscrire son nom, mais aussi, en toutes lettres, celui de son port d’attache : Arcachon. Excès de fierté peut être. Ils ont cherché dans leurs listes de bateaux français en transit, sans le trouver bien entendu, un bateau du nom d’ «Arcachon »…!

Depuis, il est marqué : ALOA II

AC

Ce qui est réglementaire.

Ils ont pensé aussi que nous faisions une manœuvre de diversion !

Pour pouvoir inspecter un bateau étranger, il faut un jugement spécial. Ils l’ont obtenu dans la nuit, ce qui explique les interminables coups de téléphone de l’officier des garde-côtes.

Les gardes-côtes ne sont pas habilités, à faire des perquisitions, d’où l’intervention de la Gendarma.

Cette nuit là, un bateau de pêche turc contenant vingt clandestins a été arraisonné aux environs de Bodrum, soit 100 milles nautiques au sud. Notre ami le balafré n’y était pas !

Pas de chance pour lui décidément !

1 commentaire:

  1. Salut Alain,
    Tu renforce le suspense ? On attend tous la suite et tu nous laisse choir ?
    Allez, raconte encore, on veut savoir la suite....

    Amitiés,

    pm

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