lundi 10 août 2009

CAPBRETON

CAPBRETON


« Qui va en mer pour ses loisirs, irait en enfer pour son plaisir »

Eté 1984, Guy « le caravanier », Benoît et Jérôme nos fils respectifs et moi-même, devons quitter le bassin d’Arcachon pour aller à La Baule, retrouver Anne, « Le Chat, ma brune aux yeux bleus qui attire le vent ».

Les croisières estivales se préparent en hiver, tranquille au coin du feu. On étudie les instructions nautiques, toutes cartes marines déployées sur la plus grande table condamnée journellement à cet effet.


La croisière est alors idyllique, les photos prises par beau temps, mer belle, ciel bleu, les odeurs du chêne qui crépite dans la cheminée et du gigot d’agneau qui cuit dans le four….Dans les toilettes, des morceaux de ficelle qui deviennent bouts, écoutes, drisses, haussières ; le porte revue est le quai, ses barreaux les bites d’amarrage. Vous apprenez et révisez les nœuds marins sous l’égide bienveillante du cours des Glénan. Vous vous entraînez à faire « le chaise » les yeux fermés, et tout marche au poil.
Donc cet été là tout est prêt pour La Baule : les pleins de l’Aloa sont faits, eau, fioul, nourriture et …gâteaux. L’épouse de Guy nous accompagne au port de la Vigne, telle une femme de terre-neuvas qui va voir disparaître à l’horizon son marin d’époux et son marmot d’enfant.



En mer, je promotionne le manger pour vivre (ou survivre) et non le vivre pour manger, quitte à se rattraper d’urgence à chaque escale.

Nous sommes prêts à embarquer quand Anne arrive. Inouï je vous dis, elle arrive, elle est là. Elle n’a pas prévenu. Après tout, un Cap Ferret la baule en bateau, pourquoi ne pas en profiter ! Quand il y en a pour quatre, il y en a pour cinq et on ne change pas un programme pour si peu.
Pars, pars, pars pour La Baule, pars pour La Baule, pars pour La Baule, sur l’air de la vie parisienne d’Offenbach. Ambiance au beau fixe.
Il est soir, il est nuit, nous quittons le port de La Vigne (petit port privé près du Cap Ferret, écrin du bassin, perle rare au pays des huîtres). Aloa y a passé 16 ans au corps mort à la sortie sud du port.

Port de la Vigne

La nuit, la navigation est interdite sur le bassin. Les bouées de chenal ne sont pas éclairées. Nous infractionnons donc. Il faut franchir les passes du bassin une heure avant la pleine mer. D’après l’horaire des marées, la plaisanterie se situe le lendemain aux matines sonnantes. Il est donc prévu de passer la nuit au banc d’Arguin, juste avant les passes (amarinage de l’équipage pendant son sommeil). Le bassin, je le connais en long, en large et en travers : les chenaux, les bancs, les parcs à huîtres et même leurs « pignots » que je connais par leur nom et leur surnom. Le bassin, j’y ai appris à manœuvrer à l’ancre avec mon père, à barrer sur Moth avec mes cousins, j’y ai ramé dans la pétole, coulé à la Plage du Centre au Cap Ferret, du temps ou j’avais un vieux gréement « le brave » bateau en acajou à clin, qui n’aimait pas la surcharge, ni la contre-gite et n’était pas auto videur.

C’est bien d’avoir confiance en soi car on la communique aux autres. Et puis, Guy aussi connaît le bassin sur le bout des doigts … alors !
C’est quand on a failli rentrer en plein dans une bouée de chenal rouge, juste avant le Banc d’Arguin, qu’on a commencé à déchanter. On savait à peu près où on était mais surtout qu’il ne fallait pas aller vers la droite de cette bassirouge. Comme repère, la dune du Pyla, masse claire, haute de103 m, longue de 2,5 km. Bien que remarquable, ce n’est pas un bon amer et ce n’est pas le phare du Cap Ferret que nous avons derrière qui vous aide à vous situer avec précision. Le banc d’Arguin, on a failli ne pas le trouver. On l’a cherché un grand moment. C’est presque par hasard, dans le faisceau du projecteur à iode, qu’on a découvert les deux « igloos » des gardiens de la réserve ornithologique qu’est ce banc, comme quoi …

Nous sommes ancrés, en limite du chenal menant aux passes. Je propose à mes coéquipiers thé chaud et biscottes. Mutinerie immédiate. A l’unanimité moins une voix, l’assemblée ici réunie vote le menu suivant : confit de canard, pommes de terre, tarte à l’abricot …J’ai beau leur dire à demi mot que la météo prévoit … Que nenni, que nenni !
Moi, le mal de mer, connais pas. Je suis un privilégié !
Aux aurores, rangement consciencieux du bateau « tout ce qui doit tomber va tomber ». Imaginez la bouteille d’huile oubliée négligemment sur un coin de table par un innocent ; vous transformez vite une croisière de rêve en un stage intensif à Holiday on Ice.
Nous remontons le chenal le long de la dune du Pyla. Cette année là, seule existe la passe sud.


La passe sud à l'époque






Elle est sud jusqu’au Petit Nice puis s’incurve à l’ouest vers le large.
Ce n’est pas ce qu’il y a de plus court quand vous voulez aller vers le nord.
Vous quittez La Vigne dans la matinée, passez devant le phare du Cap Ferret, et vous retrouvez le soir devant ce même phare de l’autre coté du cap après avoir franchi ces passes interminables.

Anne, Guy, Benoît et Jérôme sont debout dans le cockpit.
Pour être manœuvrant, nous n’avons établi que la grand voile et passé deux ris ; avec le moteur, c’est suffisant en puissance. Nous sommes au niveau de la bouée 7.
C’est là que j’aurai dû faire demi-tour !!!
En plus d’un clapot déjà inquiétant, des H.L.M. de vagues nous arrivent dessus, des lames monstrueuses, résidus de tempêtes d’Islande. Distantes de plus de 100 mètres, elles ont tendance, même à marée haute, à déferler, commençant lentement par la crête et se vautrant dans un bruit infernal. Faire demi-tour et les prendre par l’arrière, je préfère faire face. Qui prend la vague de face ne perd jamais la face, qui la prend par le travers se retrouve à l’envers. Je me souviens d’un jour, dans ces mêmes passes, en revenant d’Espagne, d’avoir pris une déferlante par l’arrière. L’Aloa est parti au lof. Le gouvernail sous l’effet du dérapage latéral, s’est bloqué de travers et j’ai été coincé entre la barre et l’hiloire. J’ai cru me faire couper en deux. La déferlante est passée sur le bateau, j’ai eu juste assez d’air pour ne pas me noyer. Alors aujourd’hui, je n’ai pas envie de faire demi-tour.
On monte sur le premier mur d’eau, on le franchit en retombant brutalement de l’autre côté. Tant pis, çà tient ! La vague suivante commence à déferler, déferle mais se reforme. On l’escalade aussi et ainsi de suite jusqu’à arriver à la Sifflante (Arcachon atterrissage, marque d’eau saine). Le vent, un bon 4 commence à fraîchir, d’où le passage anticipé des deux ris. Qui tôt prend un ris, reste longtemps en vie. Notre cap vers le nord nous oblige à faire du près. On déroule le génois jusqu’à une surface de foc numéro 2, largement suffisant. Mais la mer ne veut pas nous laisser passer. Aloa prend de la vitesse mais est bloqué dans son élan au bout de la troisième lame. Nous souffrons, nous mouillons, nous embarquons, nous ne disons rien mais n’en pensons pas moins. Ceux qui sont aux galères sont plus heureux que nous. On n’est pas parti pour faire des ronds dans l’eau, il est prévu d’aller à La Baule ! Le problème à Arcachon, quand on est sorti des passes par temps un peu viril, c’est qu’on ne peut plus rentrer avant la prochaine marée, soit 12 heures après.
Au nord Royan, au sud Capbreton, 60 miles nautiques (110 km) de chaque côté et pas le moindre abri entre les deux. Pas possible de s’appuyer au moteur : il n’aime pas la gîte et notre autonomie est trop juste, 25 litres, soit 12 heures. (L’année dernière, j’ai fait rajouter un réservoir de 95 litres ; un plein suffit pour trois mois). Et puis c’était le temps où on ne mettait le moteur que pour entrer ou sortir des ports, et encore, parce que c’était obligatoire. Chaque âge a ses plaisirs !
J’explique à l’équipage que le bateau souffre trop… Nous prenons la fuite. Tant pis pour La Baule. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Nous allons nous réfugier à Saint Jean de Luz ! Ports de dégagement sur la route ? Capbreton : pas possible, impraticable par gros temps, un banc de sable crée une déferlante énorme.


















L’entrée de Capbreton par beau temps, mais si redoutée par gros temps.


Anglet ? Il faut franchir la barre de l’Adour qui, bien qu’amoindrie par la construction d’une digue, n’est pas triste non plus. L’entrée de la baie de Saint Jean de Luz est la plus praticable, en tout cas la moins délicate à embouquer.

Nous nous retrouvons cap sud 190°, vent ¾ arrière. C’est le roulis que l’équipage ne supporte plus !

Les uns après les autres ils regagnent la cabine. Ils s’y confinent et méditent sur le confit de la veille et sur les vieux adages des Glénan : «Le mal de mer, au début on a peur de mourir et plus ça va, plus on a peur de ne pas mourir » « Quelques privilégiés se disent exempts totalement du mal de mer mais on en rencontre finalement assez peu… surtout en mer ».

Nous naviguons, parallèles à la côte, à une distance de 2 miles, sur des fonds de 20 mètres. Cette route n’est pas secteur interdit pour l’entraînement aux tirs, air mer, du centre d’essai des Landes ou de la base militaire aéronautique de Cazeaux (Bien écouter les AVURNAV). Il m’est déjà arrivé d’avoir la visite d’un hélicoptère me présentant un écriteau marqué « 10 Miles ». Ca veut dire :

« fichez moi le camp à 10 MN au large, espèce de … » La mer est formée et, en plus des énormes vagues venant d’ouest/nord-ouest, nous profitons de celles provenant du ressac. Les vagues ont des formes pyramidales à donner des idées à un Pharaon. De temps en temps on se trouve sur leur pointe, le bateau ne sait pas où aller, on a une vue panoramique à 360° qui donne le vertige. Pas question de mettre le régulateur d’allure « Navik », car non seulement il faut anticiper chaque vague, mais en plus il faut réagir vite pour ne pas laisser partir le bateau à l’abattée ou au lof. Qui veut voyager loin ménage sa mature. Il faut négocier chaque vague l’une après l’autre, alors vous êtes bien content de ne pas vous trouver en zone de tir. Imaginez : vous vous appliquez, vous vous habituez, et au moment où tout espoir revient, vous recevez un Exocet sous la ligne de flottaison !

Je mets donc mon trouillomètre à zéro et m’agrippe des deux mains sur la barre. Assis, pas bouger !

A l’intérieur de la cabine, c’est pas brillant. On a pris une grande quantité d’eau de mer et certains sont en train de l’assaisonner. Benoît se met à crier « Quand est ce qu’on arrive ? » J’en profite pour éclairer la lanterne de tous : « dans 12 heures »

Dans le vacarme de la mer, du vent, des plaintes du bateau et le profond silence des coéquipiers, j’entends un bruit familier qui se rapproche. L’hélico ! Un hélicoptère bleu ! Pas plus ! Il est là, à une quinzaine de mètres au-dessus de nous. J’aperçois le pilote et son co-pilote. Je lâche une main et leur fait un signe que je veux rassurant, je leur fais voir mon pouce qui, en langage de pouce veut dire « tout va bien, pas de problème ». Je leur fais un sourire jaune du type de celui que vous faites quand vous êtes pris en flagrant délit de grosse connerie. L’hélicoptère nous survole un moment, je ne peux pas leur parler, la VHF est dans la cabine, je n’ai pas de VHF portable. Pas question de lâcher la barre et l’équipage n’est pas en état d’entamer la conversation. L’hélico repart droit sur la côte et disparaît. Nous revoilà seuls, très seuls, pas le moindre bateau en mer … Le vent est établi force 6 ou 7, l’état de la mer est stationnaire, grosse. Je me tétanise petit à petit ; le bateau, lui, ne mouille plus, moi, je pisse dans mon ciré. De temps en temps, la main nourricière d’Anne sort de la cabine, j’ai droit à chaque fois à la moitié d’une tomate.

Au bout d’une heure, ou deux ou trois et même toutes les heures, l’hélico revient nous voir. Il a droit à mon coup de pouce et à mon sourire jaune forcé, reste un moment avec nous et repart à nouveau. Sympa l’hélico ! Merci encore oh gentils aviateurs. Etiez vous du centre d’essai des landes, de la base aérienne de Cazeaux ? Etait-ce, à chaque fois, le même hélicoptère, le même équipage ?

En arrivant au niveau de Vieux Boucau, c’est un hélicoptère rouge qui vient nous rendre visite. Lui porte l’inscription « SECURITE CIVILE ». Le bleu a du avertir le rouge. Sont-ce des charognards qui attendent la curée ? Non, bien sur, ils sont plutôt là pour nous porter ou organiser les secours. Merci en tout cas de votre présence rassurante. Chapeau !

Voilà 10 heures que nous avons pris la fuite. 10 heures à ne pas bouger, 10 heures d’intense concentration. J‘en ai marre, je me demande si je vais pouvoir tenir physiquement jusqu’à Saint-Jean de Luz ! Voici Seignosse le Penon, puis Hossegor et bientôt Capbreton. J’arrêterais bien la plaisanterie à Capbreton. C’est périlleux mais plus rapide. Les coups de baston ça fait du bien qu’en ça s’arrête ! La marée est haute puisqu’il y a 12 heures que nous avons quitté le Bassin. Cette déferlante à l’entrée ! Il faut que je fasse un essai… Je m’éloigne un peu de la côte. Arrivé au niveau de Capbreton, je vire (sans aucune réaction de l’équipage). Je me retrouve grand largue sur l’autre amure. Ca fait du bien aux muscles de changer de position. Je vise l’entrée de la passe qui mène au port de Capbreton et essaye le bateau avec voile et moteur. Il se comporte bien. Je compte les vagues : en principe la septième est plus grosse que les autres. Pourvu qu’on ne se retrouve pas à l’entrée sur une septième !

Je vois de mieux en mieux la digue nord, (côté Hossegor) et la jetée sud de Capbreton, construite sous Napoléon III, toute en bois, majestueuse avec son phare en bout. Je connais bien Capbreton et Hossegor, mes parents y ont loué plusieurs années pour les vacances.








J’y ai fait la connaissance d’une amie de ma sœur aînée Françoise : Françoise Quoirez. Très sympa mais je ne comprenais pas ce qu’elle disait. Elle écrira « Bonjour tristesse » sous le pseudonyme de Françoise Sagan. Sur cette digue je venais voir les pêcheurs à la ligne. La houle qui s’y engouffrait ondulait en remontant le canal qui va jusqu’au lac d’Hossegor qu’il alimente à marée haute. Le lac possède un seuil qui fait qu’il ne se vide pas. Bien que relié à la mer, son niveau est quasi indépendant des marées.

Au fur et à mesure que je me rapproche, je vois accourir des gens sur chaque jetée. Elles sont bientôt noires de monde. L’Hélico rouge est toujours au-dessus de nous. Spectateurs judicieux, spectacle assuré...Cà y est, il faut y aller !!! Moteur à fond, je me présente. La 7ème vague, évidemment, déferle derrière nous, nous rattrape, nous enfonce dans son écume, nous soulève, nous projette et nous dépose exactement entre les deux jetées. J’ai l’impression qu’on s’est envolé. Nous voilà dans le chenal. Sauvés ! Bonjour la joie ! De chaque côté les gens applaudissent. Anne, Guy, Benoît et Jérôme réapparaissent. Il parait qu’ils ont vu, par le hublot, un phare s’envoler. Partis à 5, suivis par la foule, nous sommes 500 en arrivant au port. Des pêcheurs professionnels saisissent le bateau, l’amarrent et nous félicitent : « çà fait trois jours que nous ne pouvons pas sortir, bravo, mais ne recommencez pas ». Anne et moi nous déshabillons et prenons une douche froide sur le quai, au jet, à poil, devant tout le monde. Pas d’applaudissements !









Le port de Capbreton


Guy a revendu son bateau, dégoûté à jamais, ou presque, puisque 3 ans plus tard, il en a racheté un autre. C’est vrai que les meilleurs moments du bateau, c’est quand on l’achète et quand on le vend. Pour moi, je me demande encore pourquoi je sors par n’importe quel temps. La météo me fait adapter les voiles au temps, c’est tout. Un jour, j’apprendrai à rester au port. Guy me surnomme « l’autre patient », peut-être à juste titre. Mais une croisière, quelle qu’elle soit, n’est elle pas une succession de petits exploits ?


Guy le « caravanier » et « l’autre patient » à Kékova en Turquie





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