jeudi 6 août 2009

ACCIDENTS





Accidents : « en mer, le danger c’est la terre »

Altinkum Didim


Forts des renseignements donnés par Aziz, un ami marin turc, J.B. « le zen » et moi, quittons la Marina de Kusadasi en Turquie pour Altinkum Didim, 40 miles nautiques au sud, via le détroit de Samos, puis le phare de Tekagac à l’entrée du golfe de Güllük.





Kusadasi la marina





On passe devant la crique où Anne a jeté l’ancre, toute l’ancre, et seulement l’ancre : vous vous souvenez ! Le coin est magnifique mais mal pavé. Aziz a bien insisté sur les roches longeant, bordant, et se cachant à l’entrée et au milieu de la baie d’Altinkum. L’étude des instructions nautiques confirme.



Un homme averti en vaut deux, avec J.B., nous voilà quatre à bord.

Ce joli petit village de pêcheurs est le point de départ pour la visite du plus grand temple du monde, celui de Didim.

Nous arrivons le soir et avec moult précautions, mouillons sur fonds de sable, à une trentaine de mètres du village ; Aloa est le seul bateau de plaisance.

Après une nuit des plus calmes, nous levons l’ancre en direction de Türbükü, toujours sur les recommandations d’Aziz, à 12 miles au sud, de l’autre coté du golfe.

Par rapport à la veille, seule une petite barque de pêcheur est venue s’ancrer à une cinquante de mètres de nous. Il s’agit de pêcheurs « nomades ». Ils sont le plus souvent deux, dans une barque d’environ cinq mètres, n’ont que des rames pour moyen de locomotion, passent la nuit à bord, dormant sur des tapis en attendant de relever leurs filets le matin.




A la pêche en Turquie





Je prends le cap qui va bien et qui va nous faire passer près de nos nouveaux voisins.

S’ils ont du poisson, ils nous feront signe, et comme de coutume en Turquie, on pourra leur en acheter, et comme de coutume sur l’Aloa, J.B. pourra les cuisiner.

Le matin de bonne heure, on ne voit pas les nuances des couleurs de la mer, donc pas les différences de profondeur. Le matin de bonne heure, un homme mal réveillé n’en vaut plus que la moitié, avec J.B. nous ne sommes plus qu’un.

Soudain, le bateau racle le fond, tremble, cahote, sort progressivement de l’eau, sursaute, retombe et stoppe net.

J’ai oublié qu’au beau milieu de la baie d’Altinkum se trouvent des hauts fonds dont la profondeur varie entre 50 centimètres et 2 mètres. Aloa cale 1 m 50.

Pour un arcachonnais, se déséchouer est une manœuvre banale, rapport aux bancs de sable. La manœuvre est simple : on fait gîter le bateau et on repart en marche arrière ou comme on peut ! Au pire on attend douze heures…

Vu qu’il n’y a pas de vent, on ne peut pas s’aider des voiles, ni des « nomades » d’ailleurs, qui s’enfuient toutes rames dehors.

Je descends à l’arrière par l’échelle de bain : je n’ai pas pied ! A 2 mètres sur ma droite, je me retrouve avec 50 centimètres d’eau seulement. Je m’éloigne donc du bateau par son travers avec un bout fixé à la drisse de spi et commence à tirer aussi fort que je suis bête. J.B. essaie de se dégager en marche avant et en marche arrière, et bien que le bateau gîta, je m’épuisa sans résultat. A l’avant du bateau j’ai pied, j’essaie de le faire pivoter. Peine perdue ! J.B. me passe masque et tuba pour un diagnostic subaquatique.

Horreur ! Nous sommes dans un trou. Nous sommes montés en pente douce sur un plateau rocailleux et sommes retombés dans un trou. Nous sommes prisonniers : nous sommes au trou. Je ne vous fais pas de dessin ; ou plutôt si, car il faut bien comprendre ce qui nous arrive. (voir dessin donc, et si vous ne comprenez rien au dessin ,revenez au texte)





Heureusement, les rochers sont suffisamment petits, d’une trentaine de centimètres de diamètre en moyenne. (Pour ceux qui sont ronds) J’entreprends donc de les dégager un par un jusqu’à créer un sillon rectiligne dans la direction par laquelle nous sommes arrivés.Vous me voyez venir, ou plutôt, partir. Au bout d’une heure environ, je réussis à tirer le bateau par l’arrière à travers ce canal creusé de main de l’homme, non sans mal : c’est le canal de Suée !

Aloa ne porte aucune trace de ce carénage sauvage.




Gumbet


7 heures du matin, Jean-Pierre « d’Artagnan » et moi quittons la marina de Bodrum-Halikarnas en Turquie, pour nous rendre au tout nouveau port de Türgütreis-Bodrum qui vient d’ouvrir.

Au programme : repérage systématique, visite des baies et criques, rase-cailloux….

J’ai potassé les instructions nautiques, pas de difficultés notoires.

La première baie est celle de Gümbet réputée pour la multitude d’hôtels qui se touchent, se suivent et ne se ressemblent pas. Jean-Pierre est debout à l’avant, se tient au foc à enrouleur qui est enroulé. Il prend son rôle de vigie au sérieux, il est très vigilant. Je barre à l’arcachonnaise (debout la barre dans le cul). Il n’y a pas de vent, on est au moteur, la mer est un vrai miroir, elle est belle, elle, le soleil luit, lui. Le sondeur ondule entre 6 et 12 mètres. Il a la précision d’une montre helvète mais aucun sens de l’anticipation. Pas le moindre bateau qui navigue à cette heure matinale, par contre on contourne moult caïques au mouillage. Attention aux chaînes et aux haussières !







de Bodrum à Gumbet








Il est 8 heures, nous nous apprêtons à quitter la baie et naviguons dans son ouest à une distance de 20 mètres de la ligne de baignade. Vitesse 5 nœuds, profondeur 6 mètres, capot coulissant de la descente grand ouvert. Je dis à Jean-Pierre qu’il peut regagner le cockpit. Il s’exécute et s’assoit le coude appuyé sur le roof.

BOUM ! Le bateau s’arrête net ! Pas moi ! Transformé en homme-canon, je suis propulsé à l’horizontale à une vitesse de 5 nœuds pendant que le bateau fait une croupade et un vrillage. Je tombe la tête la première sur le plancher de la cabine, 1 mètre 23 en contrebas, non sans heurter au passage le coin bâbord de la descente et la table du carré.

Un peu groggy quand même, j’aperçois la tête de mon bon Jean-Pierre, toujours confortablement assis dans le cockpit qui me regarde d’un air effaré. Je lui dis de couper le moteur. Moitié couché, moitié assis, je commence à me tâter : Tête, nuque, cou, visage. Je regarde mes mains : pas de sang. Même pas mal ! Un miracle pour un homme de cinquante sept ans, raide comme un passe-lacet, souple comme un verre de lampe et lourd comme une enclume mouillée. Je demande à Jean-Pierre si je suis blessé, il ne voit rien.

Je pense que nous allons couler. Je soulève le plancher pour examiner les varangues : pas d’eau, pas d’infiltration, R.A.S.

On a percuté une masse rocheuse aussi plate qu’un autel de sacrifice, à un bon mètre sous l’eau, infranchissable par un bateau d’1 mètre 50 de tirant d’eau. On n’est donc pas échoué ...encore heureux ! On fait un large tour par l’arrière et repartons. L’Aloa marche bien, ne tire ni d’un côté ni de l’autre, il est bien dans ses eaux. Jean-Pierre et moi faisons les commentaires d’usage : entre autres « c’est solide un bateau ! ». Je re-consulte les instructions nautiques, cette barre rocheuse n’est pas signalée. La carte du SHOM indique, par son ancre imprimée sur toute la baie, un bon lieu de mouillage. Depuis, j’y ai rajouté un bon lieu de naufrage. Car si la carte ne fait pas de détail, les rochers non plus !

Un quart d’heure plus tard, je ressens des picotements sur le râble bâbord. Je demande à mon bon Jean-Pierre à plusieurs reprises s’il voit quelque chose : il ne voit rien. Je commence à avoir un peu mal, comme si j’avais reçu un coup. Je me pommade au Voltarène. Jean-Pierre commence à voir apparaître des rougeurs puis un léger gonflement (je ne peux pas me voir moi-même à cet endroit là, ne m’étant pas tordu le coup ! Encore heureux !). Ca brûle : il me dit que çà doit être l’action du soleil sur la pommade ; rassurant mon Jean-Pierre !

Je n’ai mal que de temps en temps, mais la douleur devient de plus en plus vive. On ne m’a jamais passé à la question, jamais torturé, mais si on alternait fer rouge et coups de rasoir dans le corps au niveau du rein gauche, je dirais tout, et le reste. C’est horrible. J’ai du mal à me tenir debout. J’ai des sueurs froides, j’enfle de plus en plus. Je diagnostique et rends compte à Jean-Pierre :

« Rein éclaté, hémorragie interne. » « A cause d’une fibrillation auriculaire, je prends de la Flécaïne et des anticoagulants : je vais crever ! ».

Jean-Pierre veut faire côte pour me secourir au plus vite. Je réponds qu’il n’en est pas question, qu’il faut sauver le bateau (et lui aussi).

Commence alors un concentré de cours de sauvetage en mer, celui que j’aurai dû lui faire à chaque étape de nos multiples croisières:

Position GPS, longitude nord, latitude est, VHF canal 16, unidirectionnelle, donc pédalage pour émettre, relachâge pour écouter, Mayday, Mayday, Mayday, parler lentement en Français (il y aura bien quelqu’un pour comprendre qu’on est mal) expliquer clairement et simplement qu’il y a un plaisancier aux prémices de la mort, fusée rouge qu’il faut dégoupiller en un geste auguste de semeur, verticalement et vers le haut … Un cours magistral à faire pâlir le CROOS (en Turquie, la SAHIL GÜVENLIK ). Mon Jean-Pierre n’en peut plus !




de Gumbet à Turgutreis




J’ajoute très vite avant de mourir: « tu va rencontrer dans une demi-heure les rochers de Koçek, que tu laisseras sur bâbord, donc tu passeras à tribord, à une cinquante de mètres, tu passeras entre les falaises de la côte et l’îlot de Kargi sur lequel il y a un phare, tu verras plus loin une balise de danger isolé avec deux boules l’une sur l’autre, tu passeras entre le phare de Husseyin, bâtiment blanc en forme de phare justement, placé sur la côte, mais il te faudra passer plus près du danger isolé que de la côte parce-que les fonds sont malsains, et après le passage de ce cap tu continueras à longer la côte sur environ 2 miles et tu apercevras l’entrée du port de Türgütreis, et que le nom de Türgütreis est inscrit en grosses lettres sur la montagne et que tu ne peux pas te tromper, et que tu n’as cas regarder la carte et que tu n’as qu’à faire ce que je te dis ! Répète ! »

Mon Jean-Pierre n’en peut plus !(encore)

Bravo Jean-Pierre, heureusement que tu étais là parce-que moi, je n’y étais plus.

Nous arrivons dans le port de Türgütreis, tout beau tout neuf (pas nous, le port).




Aloa à Turgutreis




Deux hommes dans un Zodiac nous accueillent. J’arrive à reprendre les commandes.

Je leur explique que je suis blessé, que j’ai besoin de secours. Ils donnent l’alerte avec leur V.H.F. individuelle et portative, m’incitent à les suivre et m’indiquent la place la plus proche du quai ou m’attendent déjà trois autres hommes et une jeune fille. J’accoste, ils amarrent le bateau, je coupe le moteur et tombe dans les pommes. Pas longtemps, peut-être deux ou trois secondes. C’est incroyable, mais pendant ce laps de temps, je rêve que je n’ai pas eu d’accident, que je n’ai pas mal, que c’est un mauvais rêve. Effectivement plus de douleur, mais l’évanouissement ne dure malheureusement pas longtemps.

La jeune fille, Guliz de son prénom, m’annonce, en un excellent français, que l’ambulance et le docteur arrivent : Ils arrivent ! Il y a moins de 10 minutes que l’alerte a été donnée. Incroyable pour un Français !

Je sais depuis, car j’ai fait de ce magnifique port de plaisance mon port d’attache en Turquie, qu’il possède une antenne permanente de secours avec ambulance, infirmier, docteur, salle de premiers secours, héliport … eh oui !




Turgutreis la marina






La civière est sur le cat way, le long de l’Aloa. Je me lève. Nos amarreurs détalent effrayés en voyant le ballon de rugby qui s’est formé sur mon côté.

Je refuse qu’on m’aide à descendre du bateau ; je suis déjà tombé dans les pommes à l’insu de mon plein gré, alors, maintenant, je ne veux pas boire la tasse.

Je mets le temps qu’il faut, y arrive, me civièrise et me retrouve dans l’ambulance.

Je ne savais pas que dans les ambulances (en tout cas les turques) il n’y avait rien pour se tenir, se retenir, se maintenir, se piedtenir. Alors commence un nouveau calvaire: sirène à tue tête, ambulance à fond la caisse, docteur et ses glaçons, 20 minutes d’accélérations de freinages, de dos-d’âne … Vous vous accrochez ou vous pouvez, rien de tel pour vous tenir éveillé !

Retour Bodrum à 11 heures en ambulance, quitté le matin à 7 heures en bateau (à inscrire sur le livre de bord). Beau périple!

Me voilà donc à la clinique ultra moderne : « OZEL BODRUM HASTANESI »

Hastanesi en turc veut dire hôpital : ne pas confondre avec euthanasie.

Une dizaine, (je dis bien une dizaine) d’hommes et de femmes en blanc m’accueillent. L’une d’entre elles parle parfaitement le français (encore une). Je suis aux bons soins du professeur Abdulhah Servet qui me questionne. Je réponds, raconte, décris ma chute comme si je l’avais faite. On me passe à la radio et à l’échographie, plusieurs fois même : tête, cou, tronc, estomac, foie, rate, pancréas, reins, vessie, rien n’y échappe.

On me rassure : à l’écographie abdomino-pelvienne : « hématome très important s’étendant sur l’ensemble de la paroi gauche au niveau des plans sous-cutanés qu’ils dissèquent ». Autrement dit « hémorragie sous-cutanée ». Merci les anticoagulants ! J’aurai dû me bander...

Deux jours de clinique en observation, puis relâché en l’état car il n’y a rien à faire. Ils n’ont d’ailleurs rien fait et ils ont bien fait, confirmation faite en France une semaine plus tard. L’hématome s’est résorbé en six mois… seulement.

Je sors de la clinique à midi, le soir à 20 heures Jean-Pierre et moi appareillons pour Kusadasi. Navigation de nuit car, en principe, la mer est moins agitée. Le détroit de Samos cette fois est calme et nous arrivons à bon port à 6 heures du matin.

Pendant les deux jours à la clinique je ne me suis pas ennuyé, formalités oblige.

Mon assurance bateau m’a indiqué que j’étais assuré pour le bateau et mes passagers, mais pas pour moi !

Il n’y a pas d’accord de remboursement entre la Sécurité Sociale française et la Turquie donc la Sécu m’a dit de payer la note (2000 Euros) et de demander à mon retour le remboursement. Mon cas serait examiné et peut-être mes frais remboursés. Ma complémentaire m’a répondu qu’elle ferait comme la Sécu!

En définitive, c’est mon assureur AXA qui a tout pris en charge dans le cadre du contrat multirisque habitation, clause voyage et villégiature. L’hôpital a été payé par eux directement sans discussion. Efficacité !

Plus tard la Sécu m’a remboursé sa part, ma complémentaire, le complément, et j’ai rendu ses sous à AXA.

Merci AXA, merci mon bon assureur, c’est dans le malheur qu’on reconnaît ses amis.

Quant à mon assurance bateau, je l’ai résiliée à échéance et je me suis réassuré, après expertise du bateau, devinez où ? Chez AXA NAVIPLAISANCE!

L’année suivante, je suis revenu sur les lieux de l’accident, en scooter cette fois. La route surplombe la mer d’une cinquantaine de mètres ; on distingue parfaitement cette barre rocheuse qui s’étend transversalement à la côte à une distance suffisante pour naufrager tout bateau étranger de passage.

Aucune marque, aucun signalement ; avec les Bretons, il y aurait eu au moins 4 bouées cardinales et une perche de danger isolé…pour baliser ce trompe couillon.

Nos amis turcs devraient les imiter, eux qui sont spécialistes des marques, sous-marques contre-marques et des imitations en tout genre !

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