vendredi 14 août 2009

Présentation




Depuis 8 ans, je me suis organisé pour naviguer 3 mois par an : mai, juin, juillet, uniquement aux beaux jours. Ceci ne pourrait se faire sans la complicité d’Anne, bien sûr, qui ne navigue avec moi que 2 à 3 semaines par an. Grâce à elle, je peux assouvir ma passion et profiter un maximum de mon existence. Comme disait Rabelais «fais ce que plaira ».

Je fais l’amour à la vie !

Avec un bateau, même petit (j’ai le bateau le plus petit de la mer Egée et de la Méditerranée réunies) on est en liberté. On peut en visiter des choses : l’Etna en éruption, les Météores grecques, la Cappadoce en Turquie… La voile est certainement le moyen de transport le plus lent qui existe, mais l’énergie du vent est inépuisable …

J’ai appris à barrer comme tout le monde, à partir de 10 ans sur dériveurs multiples et variés, du Moth au 470 en passant par le monotype du Bassin d’Arcachon, et autres tapes-culs plus ou moins connus.

La pratique de la voile, même au large ne nécessite aucun diplôme. J’ai appris à naviguer en naviguant. Il n’y a pas très longtemps que j’ai mes permis mer et fluvial. Je vous raconterai pourquoi et comment j’ai eu mon certificat restreint de radiotéléphonie en mer. Vous profiterez de mes aventures à bord de l’Etoile et La Belle Poule, goélettes sister-ship de l’Ecole de manœuvres de la Marine Nationale et comment j’ai décroché mon diplôme de gabier de hune. Je vous relaterai mes aventures dans les « Courses de la Bière », mais aussi 20 ans de Golfe de Gascogne, de Bretagne, des côtes nord de l’Espagne à partir du Bassin d’Arcachon ; 4 ans de Méditerranée occidentale à partir de Fos sur Mer ; 6 ans de Grèce et de Turquie à partir de Kusadasi et de Türgutreis-Bodrum.


BODRUM

Mon bateau : un Aloa, construit par Aloa, du type Aloa 29 et qui s’appelle Aloa II. Vous me direz qu’on ne s’est pas trop fatigué pour choisir son nom ! C’est déjà une histoire.

Avec mon premier co-propriétaire, nous avions choisi un nom de baptême pas possible, que seuls les fatigués du bulbe peuvent dénicher. Si bien que l’inscription maritime d’Arcachon, lors de sa première immatriculation, s’est trompée et l’a appelé ALOA. Comme il existait un autre ALOHA dans leurs tablettes (chalutier d’Arcachon) ils l’ont appelé en définitive et définitivement ALOA II ! Un nom court, c’est plus simple à épeler en alphabet international : Alpha, Lima, Oscar, Alpha .(Alpha ou alfa comme on veut )

L’Aloa a vu le jour en avril 1975, on lui a souhaité ses 30 ans cette année ; à cette occasion il a été tropicalisé. (Capote de roof et bimini)

J’ai 64 ans, j’éprouve pour lui 33 ans d’amitié, de complicité, de connivence et d’amour viscéral. Il est signé « Groupe Finot Architectes » et, à l’époque était d’avant garde. C’est dire qu’il n’est toujours pas démodé. Un 29 pieds c’est petit me direz vous. Eh oui, mais il m’amène toujours où je veux aller et surtout m’a toujours ramené !

Oh combien de marins, combien de capitaines ont choisi de gros bateaux pour partir joyeux faire des courses lointaines et se sont arrêtés à la sortie du port !

Et puis le bateau idéal, c’est toujours le sien + 1 mètre, alors …

Ne comptez pas sur moi pour vous donner des leçons, et même de voile. Simplement vous faire part de mon expérience, l’expérience étant la somme des conneries.

Ne comptez pas sur moi pour réécrire des instructions nautiques ou un guide touristique. Ils existent déjà, rédigés par de vrais professionnels et c’est tant mieux.

Par contre, comptez sur moi pour ne vous raconter que du vécu en espérant vous intéresser et vous amuser un peu.

Eventuellement vous pourrez relire quelques passages du « Cours des Glénans » auquel il m’arrive de faire référence. C’est un peu notre bible. « C’est drôle comme les gens qui se croient instruits éprouvent le besoin de faire chier le monde »

A vos cirés et maillots de bain, bienvenue sur Aloa II

jeudi 13 août 2009

Présentation des équipiers



Aloa a connu toutes sortes d’équipiers :

mes enfants :

Ma fille Sophie co-propriétaire, son mari Pierre, et leurs deux enfants Thibault et Victor.















Mon fils Jérôme


Sur son bateau, un Charleston.













Et puis mes équipiers fidèles qui se succèdent à bord annuellement pour des périodes de 2 semaines environ :


Anne, « Le chat », ma brune aux yeux bleus qui attire le vent.







« Le chat » parce qu’elle en a l’allure, la souplesse et l’indépendance. Avez-vous déjà essayé de faire mettre des chaussures à un chat ? Malgré mes coups de gueule, Anne a toujours refusé d’en porter sur le bateau (sauf pour remonter l’ancre) ; sécurité ou pas, elle s’en fout. Comme elle a un sens de l’équilibre beaucoup plus développé que le mien, çà ne l’empêche pas, en pleine tempête de bondir à l’avant du bateau plus vite que l’éclair. Ce qu’elle ne peut faire que pieds-nus, dit-elle.

Elle passe au moins 15 jours à naviguer avec moi à la condition que nous passions ensuite ou avant, quelques jours au Club Méditerranée.

Le Club Med ? Tout au long de mes récits de Grèce et de Turquie, vous les visiterez. Car je me plais à alterner ports, criques désertes et escales dans les différents villages du Club Méditerranée qui se trouvent sur ma route.

Imaginez que vous êtes Premier violon dans le grand orchestre symphonique et philharmonique de Bayreuth et que vous assistiez de temps en temps à un concert de rock. Fabuleux, je vous dis !

Anne n’avait jamais fait de bateau avant de me connaître. Elle a donc mordu à la croisière sur le tard, mais depuis, elle a rattrapé le temps perdu. Elle fait du Laser, du Moth Europe, du Cata…C’est une sportive. Son record ? 7 dessalages et 7 ressalages dans la même sortie. C’est aussi un peu Miss Catastrophe. Dès qu’elle rejoint le bord, vous êtes surs d’y avoir droit... Elle attire le vent la pauvrette, et en subit, à chaque fois, toutes les conséquences.

Elle démarre au quart de tour, ses colères sont terribles, elle a un caractère épouvantable, au moins aussi mauvais que le mien. Parfois on se hait, surtout quand on est ensemble. Mais quand je navigue et qu’elle est à la maison, on se téléphone tous les jours, sinon on est malheureux. Allez expliquer çà !


Guy sur son bateau au bassin d'Arcachon


Guy, « le caravanier »

Il m’appelle « l’autre patient ». Il raconte toujours « avec Alain : on arrive, c’est beau, on prend la photo, on se casse ».

Si on ajoute que je demande toujours que les manœuvres soient faites vite, bien, et tout de suite, cela justifie « l’autre patient »

Guy possède un bateau sur le bassin d’Arcachon, un Feeling 326, dériveur intégral, le pied pour le bassin. Ce n’est pas un grand marin le Guy, plutôt un grand caravanier.Il n’a jamais fait de régates, les seules courses qu’il fait sont celles du supermarché. Il est meilleur au tournevis qu’au « mini Morin ».Mais il n’a pas son pareil pour vous aménager votre bateau, pour y ajouter des pitons, des bouts, des élastiques, qui, en définitive vous facilitent la vie.

La première fois qu’il est monté sur l’Aloa, il m’a demandé où était l’aspirateur, le grille-pain, et pourquoi il n’y avait pas de moquette sur le plancher. Vous l’avez compris, ce n’est pas le genre de la maison.

Guy, c’est mon ami d’enfance. Nous sommes nés dans le même village et avons usé nos culottes sur le même banc d’école. Il a été mon adjoint pendant mes 3 mandats de maire.

C’est ma vieille branche qui n’a jamais cassé.

Il a un caractère facile, en tout cas lorsqu’il est avec moi. Toujours à rigoler, il me fait rire. Et surtout, quand je gueule, il ne dit rien. C’est grand ! Cà devrait être le premier critère de sélection d’un équipier. Guy, j’ai réussi à le dégoûter du bateau. A l’époque, il en avait même revendu le sien. Quoiqu’au bout de 3 ans, il en a racheté un autre, celui qu’il possède aujourd’hui.

Je vous raconterai comment nous étions partis pour La Baule et retrouvés à Cap Breton.



JB aux iles Lavezzi en Corse

J.B. le zen.

Jean-Bernard, il sait tout faire sur un bateau. Il est à toute épreuve et, en plus, c’est un cuisinier hors pair. Je l’appelle « le zen » parce qu’il ne se démonte jamais. Toujours de bonne humeur, il a quand même un grand défaut : il est toujours d’accord ! Si vous lui posez la question « qu’est ce qu’on fait ce soir ? on va au restaurant ? ». « Si tu veux ». « A moins qu’on ne mange à bord ? » « Comme tu veux ». « Oui mais qu’est ce que tu en penses ? » « Je n’en pense que du bien ». Après çà vous êtes bien avancé.

J.B. est un ancien officier de l’Armée de l’Air, militaire de carrière à la retraite. Retraite militaire s’entend, car il gère actuellement une grosse affaire de transports en commun dans le Var. Il a dormi la moitié de sa vie avec un pistolet sous l’oreiller, sa femme aussi d’ailleurs.

Il a fait les Colonies. Il était pilote d’hélicoptère dans un commando des Forces Spéciales et, à ce titre, condamné à mort dans différents pays dans lesquels l’Etat français l’avait envoyé en « mission de pacification » suivant l’expression consacrée. En Nouvelle Calédonie il possédait son propre bateau, faisait des courses au large sur des yachts de course où il oeuvrait comme «singe». Je l’ai connu à Istres juste après qu’il ait revendu le dernier bateau qu’il avait à Fos sur Mer.Il ne savait pas quel cadeau faire à sa femme pour son non-anniversaire !

Mon J.B. il est plutôt pas grand, frisé, très méditerranéen, avec un accent de Marseille à la Ticky Holgado , auquel il ressemble d’ailleurs.

Il a beaucoup d’humour. On s’entend tellement bien qu’il nous arrive de passer plusieurs heures dans le cockpit sans éprouver le besoin de parler. C’est çà, je crois, l’osmose totale. On admire la mer, les paysages, c’est tellement beau qu’on en reste muet.


Jean-Pierre dit "d'Artagnan"


Alain et Jean-Pierre

Anne et moi l’avons connu en 1991 Turquie. On l’appelle D’Artagnan car il en a le look.

La première fois que nous avons parlé bateau et croisières, je me suis aperçu qu’il connaissait tout, qu’il savait tout faire, ( entre autres tous les nœuds de marin ) et qu’il possédait et employait un vocabulaire de vrai professionnel. Quelle surprise quand il m’a annoncé qu’il n’avait jamais mis les pieds sur un bateau autre que dériveur mais que c’était sa passion, qu’il était abonné à toutes les revues de voile et que jusque là, çà lui suffisait.

Ayant amené l’Aloa en Turquie, je lui ai proposé de naviguer, et comme il prenait sa retraite de l’Aérospatiale à Toulouse …

Jean-Pierre c’est la crème des hommes. Aimable, prévenant, dévoué, de bon commandement. Il est bricoleur comme c’est pas permis. Beaucoup de modifications dans l’Aloa sont signées de sa griffe (comme par celle de Guy le «caravanier» d’ailleurs). Il est content quand çà casse, mon Jean-Pierre : il va pouvoir réparer, et en mieux.

Et les autres que je vous décrirai d’avantage au fil des histoires comme







Mario, mon compère













Michel, « le bon docteur »




Claude « le Glaude »


à qui j’ai fait faire « les Glénans » à 60 ans














Nos amis belges Guy « le solitaire » et le couple Marcelle et Claude



Claude à Cesme en Turquie









mercredi 12 août 2009

Réactions de JB

Réactions de JB

Poser son sac à bord d’ Aloa est un honneur que je partage avec quelques rares initiés. « Le Chat » dit d’ailleurs d’Aloa que c’est la fiancée d’Alain ! Le dit « Chat » étant par ailleurs le seul marin au monde que je connaisse à savoir repérer le vent qui « vient d’en haut » - oui, quand c’est pétole grave et que les penons pendent lamentablement le long des haubans…vous y auriez pensé vous ? –

Objectivement, j’ai trouvé mon portrait un peu dithyrambique et flatteur, mais ça, c’est Alain : « quand on aime, on compte pas ». Bien sûr, nous avons partagé quelques soucis plus ou moins drôles ( voir entre autres un petit problème d’ancre à Kas, qu’il vous racontera ), mais le reste du temps – soit 99,9 % - c’est le Bonheur.

Les nav de nuit et le hachis parmentier partagé à 3h00 du matin, la daurade à Palerme ou le mérou acheté en pleine mer Egée au pêcheur de passage, les petites criques parcourues une à une, Capi creek justement et Mémet, même le « coup de gueule » - je suis tellement zen comme dit Alain, que quelques fois « mon J.B. », il est un peu lent à la manoeuvre… - oublié 10 secondes après en grignotant le traditionnel œuf-mayo, cérémonie incontournable de 11h00.

Et puis Alain, hors de son voilier s’entend, n’est pas un grand sportif…ni un amateur acharné de vieilles pierres (voir la formule de Guy empruntée à Coluche ). Et pourtant je l’ai traîné – avec son consentement et parce que ça me faisait plaisir – à Ephèse, à Aphrodisias, dans toutes les églises troglodytes de Cappadoce, et même à Thermossos ( si, si, Anne, jusqu’en haut !...)

Si un jour, en mer Egée – ou ailleurs, qui sait – vous croisez le plus petit habitable navigant dans le secteur, avec un grand costaud à crinière blanche à la barre, n’hésitez pas, suivez le, il y a sûrement un coup de Limoncello à partager… à terre bien entendu.

mardi 11 août 2009

LES ANCRES

LES ANCRES

L’ancre peut faire couler beaucoup d’encre

Que celui qui n’a jamais eu son ancre qui chasse, se coince, se croise, s’immobilise, se démobilise, se prend d’amitié avec un comparse, s’entortille dans la chaîne d’une autre, etc, etc, me jette la première aussière.

Parmi les quelques démêlées qui me sont arrivées, je vais vous en raconter quatre ;


1/ La première se situe au Banc d’Arguin. Pour ceux qui ne connaissent pas le banc d’Arguin, celui dont je parle n’est pas celui du Radeau de la Méduse, sur les côtes africaines, mais celui qui délimite le bassin d’Arcachon et l’Océan Atlantique.

Il est le commencement ou la fin, suivant si l’on sort ou si l’on rentre, des fameuses « passes »; des passes très dangereuses, interdites la nuit, donc non éclairées et balisées tant bien que mal du fait que les bancs de sables se déplacent, que les bouées rouges et vertes peuvent accidentellement se déplacer aussi, au gré des déferlantes, que c’est grave, inquiétant, et que si vous n’avez rien à y faire vous n’avez qu’à pas y aller.

Quand on dit le banc d’Arguin, il faut entendre une série de plusieurs bancs, « banc du chien » entre autres, qui d’une année sur l’autre changent d’emplacement, de surface, de forme de hauteur, de profondeur et il convient donc de les redécouvrir chaque année. Pas la peine de se fier à une quelconque carte du coin !

Nous jetons l’ancre à bascule de l’Aloa par 3 mètres 23 de profondeur ou a peu près, sur fond de sable, dans un chenal où le courant se fait passablement sentir.

Comme souvent, je pêche sous-marin, la sole ou le carrelet ou tout autre poisson plat. Il est aussi difficile de les repérer que facile de les harponner. Mais l’eau n’est pas particulièrement limpide : courant, sable, varech. Une eau à vous emplâtrer le masque dans le sable avant même d’avoir entrevu le fond.

Après plusieurs plongées successives, je distingue une longue queue grise à demi ensablée au bout de laquelle, sous un amas de sable, se trouve forcément une grosse raie, une terre ou une torpille, en tout cas une grosse bestiole. Mon cœur se met à battre comme celui du chasseur qui se trouve nez à nez avec un sanglier d’une taille respectable, juste avant de grimper dans l’arbre (pas le sanglier, le chasseur).

Je remonte pour prendre de l’air, replonge aussitôt sur ma proie et m’apprête à tirer la chose quand tout d’un coup la bête démarre en marche arrière. J’ajuste, je tire, touche la chose dans un effroyable bruit métallique à faire se réveiller un maréchal ferrant. Je viens de tirer sur mon ancre qui, elle, chasse mieux que moi. Bredouille à la surface, je constate que le bateau s’en va sans même que les occupants, concentrés sur leur bronzette s’en aperçoivent. Au fait, inutile de crier dans un tuba, on ne vous entendra pas.


2/ Un jour de 1999, Anne, « le chat, ma brune aux yeux bleus qui attire le vent » et moi, remontons le long des côtes turques de Bodrum à Kusadasi.

Notre route est nord, le vent nord-ouest : du près donc. Plus nous avançons, plus le vent forcit jusqu’à atteindre 7 beaufort. Dans ces conditions, que vous imaginez, je décide de nous réfugier dans une crique qui, sur la carte me parait bien à l’abri (à l’ouest du phare de la pointe Tekagac qui délimite au nord-ouest le golfe de Güllük). Nous découvrons un lieu paradisiaque, une crique bien à l’abri du noroît, au fond de sable blanc, à l’eau turquoise à faire pâlir un dépliant touristique de Bora Bora. La côte n’est pas élevée, nous profitons pleinement du bon force 8, (Meltem) sans l’inconvénient des vagues, on dirait un lac ! Aujourd’hui cette crique est occupée par une ferme aquacole.

Après avoir fait le tour au sondeur de ladite crique, nous constatons que le fond est régulier ; nous décidons de mouiller par 3 mètres de fond.

« A vos ordres mon bon commandant »

Anne est parée et, au signal, mouille. Elle jette l’ancre, toute l’ancre, mais l’ancre seule ! La chaîne reste sur le bateau ! Elle se tourne vers moi, l’air ahuri, me regarde avec des yeux de cocker battu, attend mon coup de gueule … qui, (fait exceptionnel) ne vient pas.

Je n’ai pas non plus envie de rire car il faut réagir vite, plonger dans le coffre pour aller chercher le mouillage de secours…

Une fois ce deuxième mouillage assuré, palmes, masque et tuba, vous plongez. Spectacle grandiose, vous êtes dans une piscine de sable fin où tous les mètres carrés se ressemblent et vous commencez à chercher, chercher, chercher. Je ne sais pas si vous vous êtes déjà trouvés dans cette situation, mais bonjour l’orientation ! Vous ne savez plus exactement où vous avez mouillé la première fois. De temps en temps, vous questionnez désespérément Anne restée sur le bateau qui vous indique qu’elle croit que c’est par-là, … non, plus loin, … plus à gauche, … pas ici, tu tournes en rond ! En définitive, au bout d’une demi-heure, vous retrouvez, par hasard, exposée sur le fond comme dans la vitrine d’un shipchandler, l’ancre, et à côté, la manille, et à côté encore, le manillon. Tout content, vous vous dîtes qu’après tout vous n’êtes pas si maudit que çà. Cette liesse individuelle et personnelle ne dure qu’un instant. En effet, vous est-il arrivé de nager avec une ancre à la main ? Vos palmes vous servent à vous maintenir quelques temps en surface, vous progressez presque à la verticale et avancez à vitesse très réduite. Vous êtes obligé de lâcher l’ancre, d’aller la rechercher au fond, et ceci un certain nombre de fois.

Je vous recommande l’exercice, pas besoin de vous inscrire en thalassothérapie …

Vous pouvez aussi la repérer avec un orin et une bouée et revenir la chercher avec votre annexe; mais avec tout ce vent ? …

Ce qui s’est passé ? Vous l’avez deviné ! Le bateau a tellement souffert, il a tant vibré, que le manillon s’est dévissé.

Nous le savons tous, il faut assurer nos manilles. Ca me fait penser qu’il faudra que le fasse !


3/ La mésaventure se passe à Kas (prononcez Kache) en Turquie, sur la côte lycéenne. Très joli port de pêche surmonté par de magnifiques tombeaux creusés dans la paroi rocheuse qui le surplombe. C ‘est une escale merveilleuse fréquentée par les Gulets ou Caïques, imposants promène-couillons à voiles et à moteur très répandus en Turquie, mais aussi par les bateaux de plaisance,dont Aloa.

Fameuses Caïques

Suivant la technique en vigueur, nous mouillons sur ancre au milieu du port et reculons pour amarrer l’arrière au quai.

Je navigue avec J.B. « Le Zen », excellent équipier qui sait tout faire sur un bateau.

Nous sommes arrivés la veille dans l’après-midi, avons visité, fait des courses, mangé, bu, rebu et dormi comme des bienheureux que nous sommes. Depuis longtemps j’ai adopté la tactique consistant à partir tôt le matin, au lever du jour, de naviguer jusqu’à 12 heures par jour à raison de 5 nœuds sur le fond, soit 60 Miles nautiques/jour. Cela nous fait arriver vers 16 heures 30 à l’étape suivante, ce qui nous laisse du temps pour la visiter.

Nous faisons également un repérage systématique, crique par crique et depuis 6 ans que je navigue en Mer Egée, à raison de 3 mois par an, je connais la côte turque de Foçà, au nord d’Izmir, jusqu’à Antalya. Ce repérage à l’avantage de n’amener Anne, par la suite, qu’aux endroits les plus attractifs.

Nous nous réveillons donc à 4 heures du matin, nous petit-déjeunons, nous gardant la possibilité d’aller aux toilettes une fois en mer, « pour ne pas polluer le port ». Pour ne pas réveiller les voisins, nous tirons sur l’ancre après avoir largué l’arrière du bateau, sans mettre le moteur, s’en nous servir du guindeau.

C’est donc dans un profond silence qu’Aloa se déhale lentement vers le milieu du port. Je m’efforce que le bateau ne touche pas ceux des voisins et tout est bien.

Pourtant le bateau s’immobilise. J.B., la chaîne à la main essaie visiblement de tourner la tête vers moi qui me tiens à l’arrière, à la barre. Dans une position curieuse, il arrive à attirer mon attention et dans un langage muet, toujours pour ne pas faire de bruit, de me communiquer un message que je n’arrive pas à décoder malgré ses efforts d’articulation. Le plus doucement possible, je lui murmure un « qu’est ce que tu dis ? » auquel il répond un je ne sais quoi de feutré de chez feutré. Ce genre de question-réponse prend à chaque fois quelques décibels de plus jusqu’à ce que je comprenne que ma présence est demandée à l’avant, que ça presse et que mon J.B. est à bout de forces. Il tient au bout de la chaîne une ancre qui, dans la nuit, a dû prendre beaucoup de poids. Je l’aide à tirer sans plus de succès.

Pendant ce temps, l’arrière de l’Aloa touche légèrement mais sûrement l’avant de notre gentil voisin Allemand de bâbord. Il se retrouve sur son pont avec la tête d’un germain mal réveillé qui se demande pourquoi un français se met à s’activer dès le chant du coq. Il faut donc lancer le moteur pour se servir du guindeau. Le doux ronflement du bicylindre Volvo 2002 retentit dans le matin calme, auquel vient s’ajouter le crissement de la chaîne autour du guindeau. L’entourage de tribord, des Anglais cette fois, sont comme les allemands, réunis maintenant, tous alignés sur leur pont respectif. Ils aident du regard, de leurs conseils et de leur expérience, de leur mauvaise humeur, de leurs pares-bates, de leurs réflexions en tous genres.

J.B. voit apparaître une ancre énorme, de plus d’1m50 de haut, de 200 kilos peut-être, celle du caïque d’en face dont les marins se mettent à gesticuler. L’arrière de leur bateau doit commencer à caresser le quai …

La manœuvre dans ce cas est très simple, vous le savez. Il suffit d’amarrer et suspendre avec un bout l’ancre indésirable, puis de continuer à remonter la chaîne jusqu’à votre propre ancre qu’il faudra ensuite faire passer à travers celle des gesticulateurs d’en face, puis … inutile de vous faire un dessin ; çà vous est déjà arrivé ou, préparez-vous psychologiquement dès aujourd’hui parce que çà vous arrivera.

Tout aurait été fort simple si à ce moment là une envie pressente ne m’avait submergé. Une envie de faire ce que j’avais prévu de faire au large « pour ne pas polluer le port », une envie qui vous propulse à vitesse grand V sur le trône proche, celui des toilettes dont le panneau de pont est grand ouvert. Au ronronnement du moteur près, le silence redevient parfait. J.B., les Allemands, les Anglais, tout le monde rentre dans un mutisme à rendre jaloux une carpe. Tout le monde attend je ne sais quoi. Vous vous sentez observé. C’est fou ce que des bruits incongrus peuvent résonner dans une cuvette de W.C. Je pense à Anne qui, dans ces circonstances n’aurait pas manqué de faire une de ces réflexions dont elle a le secret, du style « Il est bien loin mon prince charmant d’autrefois! »

Pendant ce temps, mon J.B. le zen, stoïque face à l’évènement, attend patiemment que je revienne à ses côtés pour finir de nous désancrer. La manœuvre se fait alors mieux que sur le plan.


KAS


Nous quittons enfin le port avec les félicitations spéciales du jury qui doit se demander quand même s’il ne va pas avoir la même mésaventure. Car après tout, on ne s’est pas posé trop de questions lorsqu’on s’est débarrassé de notre prise. Belle manœuvre ! On se serait cru à St Tropez


4/ Cette histoire est arrivée à mes amis Georges et Jacqueline, retraités, qui naviguent sur leur bateau 7 mois par an.

Ils viennent de mouiller dans un endroit tellement vaseux que lorsqu’ils remontent leur mouillage, ils bardissent leur bateau de boue. Georges et Jacqueline sont Suisses, c’est dire que l’idée de naviguer sur un bateau sale leur est insupportable. Il sont en mer ionienne, le long des cotes grecques, sur des fonds de 300 mètres ; Georges a l’idée géniale, pour nettoyer son mouillage, de jeter l’ancre et de la laisser pendre au bout de ses 30 mètres de chaîne. La mer est d’huile, il progresse lentement.

Au moment de remonter le mouillage, le guindeau électrique, pas assez puissant pour lever un tel poids, disjoncte. C’est donc avec le winch d’écoute de génois et un bricolage astucieux qu’ils ont réussi, à deux, à le récupérer. Ils ont mis 2 heures 30 et s’y sont épuisés.

« Quand c’est trop profond laisse mouiller les autres », aurait dit César à son fils Marius.

Ps : Lorsque vous mouillez par 10 m de fond, le poids total à relever quand vous êtes à pic, est celui de 10 m de chaîne + celui de l’ancre.

Dans le cas de nos amis Suisses, le poids était celui des 30 m de chaîne. Vous pouvez négliger celui de l’ancre !


lundi 10 août 2009

CAPBRETON

CAPBRETON


« Qui va en mer pour ses loisirs, irait en enfer pour son plaisir »

Eté 1984, Guy « le caravanier », Benoît et Jérôme nos fils respectifs et moi-même, devons quitter le bassin d’Arcachon pour aller à La Baule, retrouver Anne, « Le Chat, ma brune aux yeux bleus qui attire le vent ».

Les croisières estivales se préparent en hiver, tranquille au coin du feu. On étudie les instructions nautiques, toutes cartes marines déployées sur la plus grande table condamnée journellement à cet effet.


La croisière est alors idyllique, les photos prises par beau temps, mer belle, ciel bleu, les odeurs du chêne qui crépite dans la cheminée et du gigot d’agneau qui cuit dans le four….Dans les toilettes, des morceaux de ficelle qui deviennent bouts, écoutes, drisses, haussières ; le porte revue est le quai, ses barreaux les bites d’amarrage. Vous apprenez et révisez les nœuds marins sous l’égide bienveillante du cours des Glénan. Vous vous entraînez à faire « le chaise » les yeux fermés, et tout marche au poil.
Donc cet été là tout est prêt pour La Baule : les pleins de l’Aloa sont faits, eau, fioul, nourriture et …gâteaux. L’épouse de Guy nous accompagne au port de la Vigne, telle une femme de terre-neuvas qui va voir disparaître à l’horizon son marin d’époux et son marmot d’enfant.



En mer, je promotionne le manger pour vivre (ou survivre) et non le vivre pour manger, quitte à se rattraper d’urgence à chaque escale.

Nous sommes prêts à embarquer quand Anne arrive. Inouï je vous dis, elle arrive, elle est là. Elle n’a pas prévenu. Après tout, un Cap Ferret la baule en bateau, pourquoi ne pas en profiter ! Quand il y en a pour quatre, il y en a pour cinq et on ne change pas un programme pour si peu.
Pars, pars, pars pour La Baule, pars pour La Baule, pars pour La Baule, sur l’air de la vie parisienne d’Offenbach. Ambiance au beau fixe.
Il est soir, il est nuit, nous quittons le port de La Vigne (petit port privé près du Cap Ferret, écrin du bassin, perle rare au pays des huîtres). Aloa y a passé 16 ans au corps mort à la sortie sud du port.

Port de la Vigne

La nuit, la navigation est interdite sur le bassin. Les bouées de chenal ne sont pas éclairées. Nous infractionnons donc. Il faut franchir les passes du bassin une heure avant la pleine mer. D’après l’horaire des marées, la plaisanterie se situe le lendemain aux matines sonnantes. Il est donc prévu de passer la nuit au banc d’Arguin, juste avant les passes (amarinage de l’équipage pendant son sommeil). Le bassin, je le connais en long, en large et en travers : les chenaux, les bancs, les parcs à huîtres et même leurs « pignots » que je connais par leur nom et leur surnom. Le bassin, j’y ai appris à manœuvrer à l’ancre avec mon père, à barrer sur Moth avec mes cousins, j’y ai ramé dans la pétole, coulé à la Plage du Centre au Cap Ferret, du temps ou j’avais un vieux gréement « le brave » bateau en acajou à clin, qui n’aimait pas la surcharge, ni la contre-gite et n’était pas auto videur.

C’est bien d’avoir confiance en soi car on la communique aux autres. Et puis, Guy aussi connaît le bassin sur le bout des doigts … alors !
C’est quand on a failli rentrer en plein dans une bouée de chenal rouge, juste avant le Banc d’Arguin, qu’on a commencé à déchanter. On savait à peu près où on était mais surtout qu’il ne fallait pas aller vers la droite de cette bassirouge. Comme repère, la dune du Pyla, masse claire, haute de103 m, longue de 2,5 km. Bien que remarquable, ce n’est pas un bon amer et ce n’est pas le phare du Cap Ferret que nous avons derrière qui vous aide à vous situer avec précision. Le banc d’Arguin, on a failli ne pas le trouver. On l’a cherché un grand moment. C’est presque par hasard, dans le faisceau du projecteur à iode, qu’on a découvert les deux « igloos » des gardiens de la réserve ornithologique qu’est ce banc, comme quoi …

Nous sommes ancrés, en limite du chenal menant aux passes. Je propose à mes coéquipiers thé chaud et biscottes. Mutinerie immédiate. A l’unanimité moins une voix, l’assemblée ici réunie vote le menu suivant : confit de canard, pommes de terre, tarte à l’abricot …J’ai beau leur dire à demi mot que la météo prévoit … Que nenni, que nenni !
Moi, le mal de mer, connais pas. Je suis un privilégié !
Aux aurores, rangement consciencieux du bateau « tout ce qui doit tomber va tomber ». Imaginez la bouteille d’huile oubliée négligemment sur un coin de table par un innocent ; vous transformez vite une croisière de rêve en un stage intensif à Holiday on Ice.
Nous remontons le chenal le long de la dune du Pyla. Cette année là, seule existe la passe sud.


La passe sud à l'époque






Elle est sud jusqu’au Petit Nice puis s’incurve à l’ouest vers le large.
Ce n’est pas ce qu’il y a de plus court quand vous voulez aller vers le nord.
Vous quittez La Vigne dans la matinée, passez devant le phare du Cap Ferret, et vous retrouvez le soir devant ce même phare de l’autre coté du cap après avoir franchi ces passes interminables.

Anne, Guy, Benoît et Jérôme sont debout dans le cockpit.
Pour être manœuvrant, nous n’avons établi que la grand voile et passé deux ris ; avec le moteur, c’est suffisant en puissance. Nous sommes au niveau de la bouée 7.
C’est là que j’aurai dû faire demi-tour !!!
En plus d’un clapot déjà inquiétant, des H.L.M. de vagues nous arrivent dessus, des lames monstrueuses, résidus de tempêtes d’Islande. Distantes de plus de 100 mètres, elles ont tendance, même à marée haute, à déferler, commençant lentement par la crête et se vautrant dans un bruit infernal. Faire demi-tour et les prendre par l’arrière, je préfère faire face. Qui prend la vague de face ne perd jamais la face, qui la prend par le travers se retrouve à l’envers. Je me souviens d’un jour, dans ces mêmes passes, en revenant d’Espagne, d’avoir pris une déferlante par l’arrière. L’Aloa est parti au lof. Le gouvernail sous l’effet du dérapage latéral, s’est bloqué de travers et j’ai été coincé entre la barre et l’hiloire. J’ai cru me faire couper en deux. La déferlante est passée sur le bateau, j’ai eu juste assez d’air pour ne pas me noyer. Alors aujourd’hui, je n’ai pas envie de faire demi-tour.
On monte sur le premier mur d’eau, on le franchit en retombant brutalement de l’autre côté. Tant pis, çà tient ! La vague suivante commence à déferler, déferle mais se reforme. On l’escalade aussi et ainsi de suite jusqu’à arriver à la Sifflante (Arcachon atterrissage, marque d’eau saine). Le vent, un bon 4 commence à fraîchir, d’où le passage anticipé des deux ris. Qui tôt prend un ris, reste longtemps en vie. Notre cap vers le nord nous oblige à faire du près. On déroule le génois jusqu’à une surface de foc numéro 2, largement suffisant. Mais la mer ne veut pas nous laisser passer. Aloa prend de la vitesse mais est bloqué dans son élan au bout de la troisième lame. Nous souffrons, nous mouillons, nous embarquons, nous ne disons rien mais n’en pensons pas moins. Ceux qui sont aux galères sont plus heureux que nous. On n’est pas parti pour faire des ronds dans l’eau, il est prévu d’aller à La Baule ! Le problème à Arcachon, quand on est sorti des passes par temps un peu viril, c’est qu’on ne peut plus rentrer avant la prochaine marée, soit 12 heures après.
Au nord Royan, au sud Capbreton, 60 miles nautiques (110 km) de chaque côté et pas le moindre abri entre les deux. Pas possible de s’appuyer au moteur : il n’aime pas la gîte et notre autonomie est trop juste, 25 litres, soit 12 heures. (L’année dernière, j’ai fait rajouter un réservoir de 95 litres ; un plein suffit pour trois mois). Et puis c’était le temps où on ne mettait le moteur que pour entrer ou sortir des ports, et encore, parce que c’était obligatoire. Chaque âge a ses plaisirs !
J’explique à l’équipage que le bateau souffre trop… Nous prenons la fuite. Tant pis pour La Baule. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Nous allons nous réfugier à Saint Jean de Luz ! Ports de dégagement sur la route ? Capbreton : pas possible, impraticable par gros temps, un banc de sable crée une déferlante énorme.


















L’entrée de Capbreton par beau temps, mais si redoutée par gros temps.


Anglet ? Il faut franchir la barre de l’Adour qui, bien qu’amoindrie par la construction d’une digue, n’est pas triste non plus. L’entrée de la baie de Saint Jean de Luz est la plus praticable, en tout cas la moins délicate à embouquer.

Nous nous retrouvons cap sud 190°, vent ¾ arrière. C’est le roulis que l’équipage ne supporte plus !

Les uns après les autres ils regagnent la cabine. Ils s’y confinent et méditent sur le confit de la veille et sur les vieux adages des Glénan : «Le mal de mer, au début on a peur de mourir et plus ça va, plus on a peur de ne pas mourir » « Quelques privilégiés se disent exempts totalement du mal de mer mais on en rencontre finalement assez peu… surtout en mer ».

Nous naviguons, parallèles à la côte, à une distance de 2 miles, sur des fonds de 20 mètres. Cette route n’est pas secteur interdit pour l’entraînement aux tirs, air mer, du centre d’essai des Landes ou de la base militaire aéronautique de Cazeaux (Bien écouter les AVURNAV). Il m’est déjà arrivé d’avoir la visite d’un hélicoptère me présentant un écriteau marqué « 10 Miles ». Ca veut dire :

« fichez moi le camp à 10 MN au large, espèce de … » La mer est formée et, en plus des énormes vagues venant d’ouest/nord-ouest, nous profitons de celles provenant du ressac. Les vagues ont des formes pyramidales à donner des idées à un Pharaon. De temps en temps on se trouve sur leur pointe, le bateau ne sait pas où aller, on a une vue panoramique à 360° qui donne le vertige. Pas question de mettre le régulateur d’allure « Navik », car non seulement il faut anticiper chaque vague, mais en plus il faut réagir vite pour ne pas laisser partir le bateau à l’abattée ou au lof. Qui veut voyager loin ménage sa mature. Il faut négocier chaque vague l’une après l’autre, alors vous êtes bien content de ne pas vous trouver en zone de tir. Imaginez : vous vous appliquez, vous vous habituez, et au moment où tout espoir revient, vous recevez un Exocet sous la ligne de flottaison !

Je mets donc mon trouillomètre à zéro et m’agrippe des deux mains sur la barre. Assis, pas bouger !

A l’intérieur de la cabine, c’est pas brillant. On a pris une grande quantité d’eau de mer et certains sont en train de l’assaisonner. Benoît se met à crier « Quand est ce qu’on arrive ? » J’en profite pour éclairer la lanterne de tous : « dans 12 heures »

Dans le vacarme de la mer, du vent, des plaintes du bateau et le profond silence des coéquipiers, j’entends un bruit familier qui se rapproche. L’hélico ! Un hélicoptère bleu ! Pas plus ! Il est là, à une quinzaine de mètres au-dessus de nous. J’aperçois le pilote et son co-pilote. Je lâche une main et leur fait un signe que je veux rassurant, je leur fais voir mon pouce qui, en langage de pouce veut dire « tout va bien, pas de problème ». Je leur fais un sourire jaune du type de celui que vous faites quand vous êtes pris en flagrant délit de grosse connerie. L’hélicoptère nous survole un moment, je ne peux pas leur parler, la VHF est dans la cabine, je n’ai pas de VHF portable. Pas question de lâcher la barre et l’équipage n’est pas en état d’entamer la conversation. L’hélico repart droit sur la côte et disparaît. Nous revoilà seuls, très seuls, pas le moindre bateau en mer … Le vent est établi force 6 ou 7, l’état de la mer est stationnaire, grosse. Je me tétanise petit à petit ; le bateau, lui, ne mouille plus, moi, je pisse dans mon ciré. De temps en temps, la main nourricière d’Anne sort de la cabine, j’ai droit à chaque fois à la moitié d’une tomate.

Au bout d’une heure, ou deux ou trois et même toutes les heures, l’hélico revient nous voir. Il a droit à mon coup de pouce et à mon sourire jaune forcé, reste un moment avec nous et repart à nouveau. Sympa l’hélico ! Merci encore oh gentils aviateurs. Etiez vous du centre d’essai des landes, de la base aérienne de Cazeaux ? Etait-ce, à chaque fois, le même hélicoptère, le même équipage ?

En arrivant au niveau de Vieux Boucau, c’est un hélicoptère rouge qui vient nous rendre visite. Lui porte l’inscription « SECURITE CIVILE ». Le bleu a du avertir le rouge. Sont-ce des charognards qui attendent la curée ? Non, bien sur, ils sont plutôt là pour nous porter ou organiser les secours. Merci en tout cas de votre présence rassurante. Chapeau !

Voilà 10 heures que nous avons pris la fuite. 10 heures à ne pas bouger, 10 heures d’intense concentration. J‘en ai marre, je me demande si je vais pouvoir tenir physiquement jusqu’à Saint-Jean de Luz ! Voici Seignosse le Penon, puis Hossegor et bientôt Capbreton. J’arrêterais bien la plaisanterie à Capbreton. C’est périlleux mais plus rapide. Les coups de baston ça fait du bien qu’en ça s’arrête ! La marée est haute puisqu’il y a 12 heures que nous avons quitté le Bassin. Cette déferlante à l’entrée ! Il faut que je fasse un essai… Je m’éloigne un peu de la côte. Arrivé au niveau de Capbreton, je vire (sans aucune réaction de l’équipage). Je me retrouve grand largue sur l’autre amure. Ca fait du bien aux muscles de changer de position. Je vise l’entrée de la passe qui mène au port de Capbreton et essaye le bateau avec voile et moteur. Il se comporte bien. Je compte les vagues : en principe la septième est plus grosse que les autres. Pourvu qu’on ne se retrouve pas à l’entrée sur une septième !

Je vois de mieux en mieux la digue nord, (côté Hossegor) et la jetée sud de Capbreton, construite sous Napoléon III, toute en bois, majestueuse avec son phare en bout. Je connais bien Capbreton et Hossegor, mes parents y ont loué plusieurs années pour les vacances.








J’y ai fait la connaissance d’une amie de ma sœur aînée Françoise : Françoise Quoirez. Très sympa mais je ne comprenais pas ce qu’elle disait. Elle écrira « Bonjour tristesse » sous le pseudonyme de Françoise Sagan. Sur cette digue je venais voir les pêcheurs à la ligne. La houle qui s’y engouffrait ondulait en remontant le canal qui va jusqu’au lac d’Hossegor qu’il alimente à marée haute. Le lac possède un seuil qui fait qu’il ne se vide pas. Bien que relié à la mer, son niveau est quasi indépendant des marées.

Au fur et à mesure que je me rapproche, je vois accourir des gens sur chaque jetée. Elles sont bientôt noires de monde. L’Hélico rouge est toujours au-dessus de nous. Spectateurs judicieux, spectacle assuré...Cà y est, il faut y aller !!! Moteur à fond, je me présente. La 7ème vague, évidemment, déferle derrière nous, nous rattrape, nous enfonce dans son écume, nous soulève, nous projette et nous dépose exactement entre les deux jetées. J’ai l’impression qu’on s’est envolé. Nous voilà dans le chenal. Sauvés ! Bonjour la joie ! De chaque côté les gens applaudissent. Anne, Guy, Benoît et Jérôme réapparaissent. Il parait qu’ils ont vu, par le hublot, un phare s’envoler. Partis à 5, suivis par la foule, nous sommes 500 en arrivant au port. Des pêcheurs professionnels saisissent le bateau, l’amarrent et nous félicitent : « çà fait trois jours que nous ne pouvons pas sortir, bravo, mais ne recommencez pas ». Anne et moi nous déshabillons et prenons une douche froide sur le quai, au jet, à poil, devant tout le monde. Pas d’applaudissements !









Le port de Capbreton


Guy a revendu son bateau, dégoûté à jamais, ou presque, puisque 3 ans plus tard, il en a racheté un autre. C’est vrai que les meilleurs moments du bateau, c’est quand on l’achète et quand on le vend. Pour moi, je me demande encore pourquoi je sors par n’importe quel temps. La météo me fait adapter les voiles au temps, c’est tout. Un jour, j’apprendrai à rester au port. Guy me surnomme « l’autre patient », peut-être à juste titre. Mais une croisière, quelle qu’elle soit, n’est elle pas une succession de petits exploits ?


Guy le « caravanier » et « l’autre patient » à Kékova en Turquie